lundi 30 mai 2011

La Russie est la grande gagnante du G8 de Deauville de mai 2011


La Russie, membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU et du G8 est consciente de ne plus avoir le même poids qu'auparavant sur le plan international. De ce fait, elle essaye à chaque fois que l'occasion lui est présentée de rappeler qu'elle existe encore et qu'elle demeure capable d'influer sur le cours des évènements.
Elle s’était abstenue, le 17 mars 2011, d’exercer son droit de veto lors du vote de la résolution 1973 autorisant l’intervention d’une coalition internationale en Libye contre le régime du colonel Kadhafi. Elle a par la suite dénoncé l’usage "disproportionné" de la force en Libye par les forces de la coalition, estimant que les frappes de l’OTAN allaient au-delà du mandat de l’ONU.
Fin avril 2011, elle avait jugé "inacceptable" l’adoption, par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’une résolution demandant l’envoi urgent d’une mission d’enquête en Syrie.
Et si elle continue de refuser de coopérer avec l’Occident pour faire davantage pression sur la Syrie, c'est parce qu'elle tient à préserver ses relations avec ce pays. D'après le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov, l’opération occidentale contre le régime de Kadhafi risque de tenter les opposants d’autres pays en proie à un soulèvement populaire de solliciter une intervention étrangère. En évoquant la Syrie, il n'a pas manqué de dire : "Il est très regrettable que la situation en Libye ait suscité une forte tentation chez de nombreux opposants de créer une situation analogue et de considérer que l’Occident ne restera pas à l’écart et s’ingérera dans le conflit au profit d’une des parties".
La Russie espère, ainsi, que "le scénario libyen", avec des acteurs étrangers s’ingérant dans la situation [syrienne], y compris en recourant à la force, ne va pas se répéter.
La Russie est aujourd'hui très consciente que la Chine est de plus en plus importante en Syrie. Elle y a notamment acheté une grande partie de Shell Syrie pour un milliard de dollars. Et peut donc faire la même chose qu'au Soudan où un embargo est en vigueur, mais bafoué, dès sa mise en place, par les Chinois qui se sont emparés de l'économie locale. La Chine nargue ainsi les puissances en présence et bouleverse les schémas.
D'un autre côté, la Russie veut redéployer sa flotte en Méditerranée et pour cela a besoin de bases militaires. Or les deux alliés de la Russie dans la région à l'époque soviétique étaient la Libye et la Syrie. La base de Tartous en Syrie est en train d'être réhabilitée afin d'accueillir une flotte russe et devenir la principale base russe en Méditerranée. Une option qui s'impose d'autant plus qu'un accord avec l'Ukraine a été trouvé pour un départ de Crimée. Il faudrait attendre, 2020 (version optimiste) pour qu'ils puissent construire une base sur la côte russe. Et le mouillage en hiver en mer Noire n'est pas évident. Par conséquent, les Russes n'ont pas d'autre choix que d'avoir une base directement en Méditerranée.
C'est ce qui explique que, quoique traditionnellement opposée à toute ingérence, la Russie s'est résolue vendredi à réclamer le départ de Kadhafi. La déclaration finale du G8 reflète ce changement spectaculaire de posture en affirmant que Kadhafi "n'a pas d'avenir dans une Libye libre" et qu'"il doit partir". Les dirigeants du G8 (États-Unis, Russie, Canada, Japon, France, Grande-Bretagne, Allemagne et Italie) se limitent, par contre et une fois de plus, à menacer la Syrie de "nouvelles mesures" si la répression continue.
Or, La Syrie n'est pas un pays intégré économiquement au niveau mondial. Il ne fait pas partie des membres de l'OMC et il est auto-suffisant au niveau alimentaire. Énergétiquement, la Syrie a assez de pétrole et de gaz pour ses besoins propres. Donc les sanctions "classiques" ne vont pas bouleverser le fonctionnement du pays.
Fin manœuvrier, le président russe, Dimitri Medvedev qui a obtenu que la perspective d'une résolution à l'ONU prévoyant de nouvelles mesures contre Damas soit gommée de la déclaration finale du G8, a tout de même exhorté Bachar AL-ASSAD à "passer des paroles aux actes". Alors que Nicolas SARKOZY s'est dit d'accord avec Barack OBAMA pour appeler le président syrien à diriger la transition ou à se retirer du pouvoir.
Le président russe, soucieux de réintroduire son pays dans le jeu diplomatique, a profité de cette occasion pour proposer "sa médiation" à ses partenaires pour résoudre le conflit libyen.
La plupart des membres du G8 pensaient profiter de ce rendez-vous pour convaincre la Russie de ne pas opposer son veto à la résolution de l'ONU sur d'éventuelles sanctions à l'encontre de la Syrie. Quitte à lui faire quelques concessions pour obtenir son accord sur de nouvelles sanctions onusiennes.
En définitif, la Russie repart de ce sommet avec l'assurance d'acquérir quatre Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) du type Mistral avec transfert de technologie. Le président français a affirmé à l'issue d'un entretien avec son homologue russe :"Nous avons trouvé un accord définitif ; s'agissant des deux BPC construits en France et deux BPC construits en Russie. Les éléments de la signature et du contrat ont été réglés, la signature aura lieu dans les quinze jours". Et Dimitri MEDVEDEV d'ajouter :"Aujourd'hui, cette négociation est terminée, ce qui est très important pour les relations entre la Russie et la France, et nous allons bientôt signer le contrat définitif".
En contre-partie, la Russie consent à "lâcher" Kadhafi, mais ne cède rien en ce qui concerne la Syrie et consolide même son rôle sur la scène internationale.

Lotfi AGOUN

3 commentaires:

  1. Excellente analyse. Cela explique pas mal de chose.

    RépondreSupprimer
  2. Après la lecture de cet article la position russe devient plus compréhensible est ne change pas grand chose sur le fond..., mais l’auteur a grandement raison, la Russie est véritablement la grande gagnante....

    RépondreSupprimer
  3. encore un article intéressant pour avoir une vue a 360° et bien comprendre ce qui se passe ...

    RépondreSupprimer